Brésil · La collaboration

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Cécile Even, programmatrice de Plages Magnétiques, revient sur les trois années qui ont lié notre SMAC au Brésil et les fondements de la programmation de l’Atlantique Jazz Festival 2024, Brasil Agora.

Pourquoi avoir fait le choix du Brésil ?

Ce partenariat a été choisi par l’Ensemble Nautilis car Erwan Massiot (communication de Nautilis) a habité à Brasilia pendant 10 ans. C’était intéressant  car il y avait déjà tout un réseau sur place. De là on s’est demandé : pourquoi le Brésil ? Qu’est-ce qui peut y avoir comme frein ? Ce qui peut être intéressant. On a été au Brésil mais sans se dire qu’on allait choisir des musiciens croisés sur la route. C’est la que se fait le lien avec Chicago. Nous sommes partis en décembre 2021 avec Janick Tilly, Christophe Rocher et Erwan Massiot. Pour ce premier voyage on s’est appuyés sur un musicien brésilien : Pablo Fagundes. Il avait invité des musiciens durant le confinement dans sa maison. À Brasilia, on a rencontré des institutionnels et participé à des concerts. Le voyage s’est effectué en deux parties. À Sao Paulo, l’ambition de Plages Magnétiques c’était de rencontrer des partenaires de diffusion et donc a rencontré Daniel Noguera (Sampa Jazz Festival). J’avais effectué un repérage des personnes à rencontrer en amont avec soutien de Julien Desprez. Au Festival Chiii, nous avons rencontré Manoela Wright. Nos échanges ont été la base de ce qui se passe au Brésil. Des sujets qui croisent la musique et le contexte du pays se sont vite imposés : la question raciale, les différences entre les régions, l’écologie. Aussi, on s’est aperçu sur place qu’il n’y a pas de distinction entre musique savante et musique populaire, que le milieu musical était très « fluide ».

On s’est aperçu sur place qu’il n’y a pas de distinction entre musique savante et musique populaire, que le milieu musical était très « fluide »

Comment ce premier voyage en 2021 a t-il fait évoluer le partenariat ?

Nautilis est retourné deux fois au Brésil, notamment pour consolider le projet Yermat (à partir des rencontres qui ont émergé à Brasilia) et Abajur (qui est davantage né de la scène de Sao Paulo).  Le partenariat avec le Brésil s’est concrétisé à Brest avec l’invitation de musicien·ne·s brésilien·ne·s en mai 2022 et mai 2023. En mai 2023, en partenariat avec Nautilis, on a construit des petites tournées entre concerts et actions culturelles. Ils sont allés dans les Ehpad, dans différents cafés. On a essayé de connecter avec toutes les connaissances qu’on avait en France.

Au cours de ces trois ans, comment t’es-tu impliquée dans ce partenariat ?

Le partenariat avec Chicago était très imprégné de Nautilis. À l’occasion de Brasil Agora, Plages Magnétiques a souhaité travailler en co-programmation avec une programmatrice brésilienne, Manoela Wright. Lors de sa venue en 2022, elle a listé  les points communs avec son festival, ce qui lui plaisait. À son retour, je lui a fait une liste des choix de programmation à privilégier : la scène expérimentale de Sao Paolo, la musique populaire (notamment comment elles vivent aujourd’hui) et un autre aspect qui a retenu particulièrement notre attention : la culture afro-brésilienne. Il était important de faire une programmation qui ne montre pas uniquement des hommes et des personnes blanches. C’est là qu’entre le prisme du jazz : trouver des artistes qui ont fait de leur création, la transformation de leur condition de vie. 

De ce voyage est né une plus large collaboration avec Manoela Wright, qu’a-t-elle apporté ?

Par le biais de son festival (Chiii) Manoela aime faire des passerelles (entre la musique métal, la musique électronique et la musique improvisée, etc.) et donc on s’est senties en adéquation avec sa ligne artistique. On l’a invitée à l’Atlantique Jazz Festival en 2022. Puis en 2023 elle a invité Christophe. Cette année, en juillet 2024, elle invite Morgane Carnet (musicienne) sur son festival. Elle est une des référentes scène jazz / musique improvisée des artistes européens au Brésil. Elle également très vigilante quant aux questions queer et la représentation des minorités. Le choix des artistes s’est fait avec elle et selon les indications que je lui ai données.

Au Brésil il y a un fort concept de culture  » anthropophage « . Les courants musicaux se font absorber. La samba se retrouve partout, les musiciens ne sont pas en rupture avec la musique populaire .

À ce propos, comment s’est construite la programmation de l’AJF cette année et quelles sont les tendances suivies ?

C’est une programmation assez audacieuse et basée sur la découverte. Il y a une notion d’authenticité et de sincérité importante. Les artistes ont été choisis sur l’idée suivante : peu importe le matériau sonore que tu t’appropries mais la valeur c’est ce que tu en fais. On a cherché des musiques qui allaient questionner nos rapports avec la scène jazz européenne. Au Brésil il y a un fort concept de culture  » anthropophage « . Les courants musicaux se font absorber sans qu’il y ait de distinction entre musique savante ou populaire. La samba se retrouve partout, les musiciens ne sont pas en rupture. C’est une culture de l’appropriation et de la transformation. Cette programmation veut également montrer en quoi la spiritualité afro-brésilienne se retrouve dans la musique actuelle.

Que retiens-tu entre le point de départ de ce partenariat et le point d’arrivée avec ce festival ?

Les rencontres qui m’ont fait évoluer. Je connaissais les classiques mais j’étais moins à l’écoute de ce qui se faisait maintenant. Ce partenariat nous a mis au contact de tellement de phénomènes et de rencontres que la question de la programmation d’un AJF Brasil Agora était : comment on s’y prend pour faire une programmation à partir de tout ça ? Je me suis approprié ce projet via mes rencontres, les cours de portugais, connaitre l’histoire des les quilombos et les rites populaires et spirituels. Avec ma professeure de portugais on a travaillé les orichas via les chansons de samba (culture sacrée liée à la spiritualité). Les chants sont liés à aux contextes de vie : les femmes abandonnées, la critique de pouvoir…ce sont ces axes qui m’ont plu dans cette culture brésilienne.